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EXTRAIT :
Ils étaient tous
réunis autour de la table, dans la salle à manger d'apparat du consulat où
porcelaines fines, cristal aérien et parures de luxe rivalisaient de splendeur
avec des bouquets éclatants, artistement composés. Thomas se trouvait placé entre
Laurie-Anne et Constance. La jeune fille irradiait de bonheur. Sans doute n'en
avait-elle même pas conscience.
Philippe les
observait du côté opposé de la large table. Seule une imperceptible crispation
de la mâchoire trahissait son désarroi. Mais son amour pour Laurie-Anne allait
bien au-delà de son propre chagrin. Si Thomas la méritait et si elle l'aimait,
il s'effacerait. Le coeur meurtri, il la laisserait suivre un chemin différent
du sien, il se l'était promis... Seulement, si son amour ne lui paraissait pas
solide, alors il se battrait. Pas pour lui arracher Laurie-Anne : l'amour ne se
commande pas à la baguette comme un bataillon d'artilleurs, mais pour lui
ouvrir les yeux à elle.
Constance aussi regardait cet homme qui était à sa
droite. Malgré la réserve de sa filleule, elle avait deviné qu'il n'était pas
pour elle un invité tout à fait ordinaire. Il possédait indéniablement un
charme fou. Il aurait fallu être aveugle pour le nier... et en fin de
compte, cela aurait été inutile, car sa voix était tout aussi
charmeuse. Cette mèche qui barrait son front lui donnait un air juvénile,
mais en fait, il n'était pas si jeune que cela. Pas autant que Philippe, en tous
cas. Il avait dans le regard un rien de blasé qui ne s'évanouissait que lorsque
son regard se posait sur Laurie-Anne. En quelques minutes, Constance analysa la
nature de son amour, réel, elle n'en doutait pas, mais trop complexe, trop
passionné, trop tourmenté pour le coeur simple de Laurie-Anne. C'était la
fraîcheur d'âme de la jeune fille qui l'avait séduit. En Philippe, Laurie-Anne
ne voyait que l'ami d'enfance ; en Thomas, elle voyait l'homme. Elle aimait
l'image que lui renvoyait l'amour de Thomas. La pire des erreurs lorsqu'il
s'agit de construire quelque chose de durable. Dès demain, elle la mettrait en
garde contre ce mirage.
Le dîner fut
agréablement animé, Paulette et Thomas se renvoyant la balle avec bonne humeur.
Pourtant, au-delà des plaisanteries et des mots d'esprit, Laurie-Anne voyait
dans le regard de Thomas, attaché sur elle, une gravité qui la troublait. Le
mensonge pouvait-il réellement atteindre une telle perfection ? Elle aurait
parié sans hésiter sur sa sincérité. Mais c'est vrai aussi qu'il ne se montrait
pas avare d'amabilités envers les ravissantes dames qui cherchaient à
capter son attention. Seigneur ! Que cet homme était compliqué !
Après avoir dégusté le repas typique d'un réveillon traditionnel -dinde aux marrons
et bûche de Noël comprises- on dansa dans les jardins, au son d'un orchestre
créole qui donnait aux morceaux les plus endiablés un air chaloupé. Thomas,
excellent danseur, étant très convoité, c'est tard dans la nuit qu'il s'inclina
enfin devant Laurie-Anne. La jeune fille avait éprouvé pendant toute la soirée
les morsures d'une affreuse jalousie. Même dans les bras de Philippe, elle
n'avait pu retrouver la complicité qui les avait unis la veille de Noël. Elle
s'en irritait, s'en voulait, forcée d'admettre qu'il avait vu juste. Les
mots de son ami d'enfance s'égrenaient dans sa tête comme un avertissement :
"C'est un homme à femmes, un dragueur, tu lui plais parce que tu lui échappes"...
Seulement, quand, dans les senteurs enivrantes des jardins, Laurie-Anne se
retrouva entre les bras de Thomas, elle oublia
tout.
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