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EXTRAIT
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Situés dans la partie la plus basse de l'île, donc sous le
niveau de la mer, les marais salants représentent le quart de la superficie de
Noirmoutier. C'est au début du Moyen Âge que les moines de Saint-Philbert
commencèrent leur aménagement, en creusant les innombrables canaux dont le cours
respecte l'écoulement des eaux au retrait de la mer. Le paysage n'a guère évolué
depuis.
Si,
dans les années soixante-dix, bon nombre de ces marais étaient négligés, on
retrouvait toujours, mangées par la salicorne, les levées de
terre créées lors de leur construction. Et les essepes de pierre calcaire
marquaient souvent leur entrée, tout comme elles fermaient autrefois les cours de
fermes et les jardins.
Le soleil
était haut dans le ciel lorsque Julia prit la route des marais. Il n'y avait pas
un souffle de vent. Il faisait si chaud que l'air tremblait au-dessus du sol
desséché. Julia savait qu'à cette heure-là, elle ne croiserait personne. Même
dans les meilleurs jours, le saunier recueille rarement sa production avant la
fin de l'après-midi. Le marais de Jean était situé entre l'Épine et
Noirmoutier. On y accédait par une multitude de dédales et de sentiers qui ne
voyaient rien passer d'autre que des roues de brouettes et de vélos. Elle
n'était même pas certaine de le retrouver. De fait, elle hésita à plusieurs
reprises, se trompa, revint sur ses pas, parcourant certainement bien plus de
distance qu'il n'était nécessaire. C'est la calorge qu'elle reconnut
d'abord. La première fois, elle avait appuyé sa bicyclette contre le mur de
pierres grises de cette construction qui évoquait une maison de poupée ou ces
minuscules chapelles que l'on trouve disséminées au cœur de la campagne
crétoise. Elle identifia au loin la pointe d'ardoises des deux tourelles du
château de Noirmoutier et le clocher de l'église Saint-Philbert qui émergeaient
sur le bleu uniforme de l'horizon.
C'était bien
ici. Un hectare de terre à l'abandon qu'une végétation anarchique avait peu à
peu colonisée. Des plantes sauvages avaient poussé sur les vettes, ces chemins
d'argile séchée qui séparent les œillets et que Jean entretenait si
soigneusement. Des plaques de mousse verdâtre se développaient sur la surface
sombre des bassins. Avant de gagner l'Italie pour se constituer prisonnier, le
saunier avait noyé son marais pour le protéger des intempéries hivernales. Il
n'était plus qu'une vaste étendue d'eau stagnante, eau de mer mêlée de pluie,
dans laquelle se reflétait le ciel. Ça et là, Dans les pèces amettantes, les
réserves d'eau situées juste en amont des œillets, on apercevait quelques traces
blanchâtres de fleur de sel, insolite dentelle livrée au soleil.
Julia
contemplait ce spectacle avec une sorte de désolation qu'elle ne s'expliquait
pas. Jusqu'à présent, l'avenir du marais salant ne l'avait guère préoccupée. Il
ne semblait pas non plus préoccuper Jean, qui, s'il évoquait souvent son île,
n'avait jamais prononcé un mot de regret sur son ancien travail de saunier.
Peut-être aurait-il fallu trouver quelqu'un pour exploiter le marais et le faire
vivre ? Certains jeunes gens n'auraient sans doute pas refusé cet appoint à leur
activité principale. Pourquoi Jean ne l'avait-il pas loué ? Par simple
négligence ou pour des raisons plus obscures ?
Elle resta
longtemps ainsi, devant les salines délaissées, le regard songeur accroché à la
surface immobile de l'eau, et les pensées vagabondes. S'il y avait un endroit au
monde où le souvenir de Jean était omniprésent, c'était bien ici. Au milieu de
cette vaste étendue miroitante, elle revoyait la silhouette athlétique du
saunier se découper sur le bleu du ciel. Quand reviendrait-il tirer le sel de
son marais ? De nouveau, les larmes voilèrent ses yeux. Le cri rauque d'une
aigrette blanche qui s'était posée sur un bassin, sans se soucier de sa
présence, venait de lui répondre " peut-être jamais ".
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