EXTRAIT :
 
Anita fixa sur Lydia un regard apitoyé.
- C'est donc ça ! s'exclama-t-elle subitement. Je me demandais ce qui avait changé en vous et je n'arrivais pas à trouver ! Physiquement, vous êtes la même qu'avant, mais quelque chose est différent... Le regard, je crois. Oui, c'est cela ! C'est peut-être aussi parce que vous n'êtes pas maquillée... Dites-moi, ça ne doit pas être drôle à vivre ?
- Ce n'est pas drôle du tout, confirma Lydia, je peux vous l'assurer.
- Mais... Vous ne vous souvenez vraiment de rien ?
- Je suis restée dans le coma pendant onze jours. Mes souvenirs commencent à la minute où je me suis réveillée à l'hôpital.
Cette déclaration plongea Anita dans de profondes réflexions. Elle resta silencieuse pendant deux bonnes minutes, ce qui indiquait chez elle un trouble certain.
- Eh bien, énonça-t-elle enfin d'un ton convaincu, j'en connais un qui doit être rudement soulagé !
- Que voulez-vous dire ? demanda Lydia, déconcertée.
Et comme Anita tardait à répondre :
- Qui doit être soulagé ? insista-t-elle, pressante.
- Qui ? Mais votre mari, pardi ! Ça doit bien l'arranger que vous ayez perdu la mémoire !
- Mon mari ?
Le cœur de Lydia se mit soudain à battre avec une violence telle qu'elle porta machinalement les mains à sa poitrine. En même temps, un vide glacial s'installait en elle. Qu'allait lui apprendre la bavarde Anita ? Qu'elle avait de véritables raisons de se défier de Pascal ?
- Dites-moi ce que vous savez, je vous en prie ! J'ai tellement de mal à me retrouver... Personne ne peut imaginer ce que je ressens...
- Écoutez, madame Calvet, peut-être ai-je tort. Peut-être devrais-je tenir ma langue et vous laisser débrouiller vos problèmes toute seule, mais entre femmes, il faut bien s'entraider, n'est-ce pas ? Vous étiez dans un tel état la dernière fois que je vous ai vue...
Anita suspendit sa phrase tandis que dans ses yeux réapparaissait une lueur de vive compassion. Lydia considéra la jeune femme brune avec une sorte d'effroi résigné. Mon Dieu ! songea-t-elle, affolée, quel terrible secret était donc enfoui dans ce passé oublié ? Elle était sur le point de le découvrir et se demandait si elle le souhaitait vraiment. Mais elle ne pouvait plus reculer.
- Que s'est-il passé la dernière fois que vous m'avez vue ? demanda-t-elle d'une voix assourdie.
Anita, à son tour, hésitait. Avait-elle raison de dévoiler ce que le hasard lui avait permis d'apprendre ? Ne devait-elle pas se taire, au contraire, pour laisser à ce jeune couple la chance d'un second départ... puisque le destin dispensait un oubli providentiel sur leurs querelles d'autrefois... Mais, pour Lydia, elle en avait déjà trop dit.
- Parlez, Anita, je vous en conjure, supplia la jeune femme, mains jointes. J'ai absolument besoin de savoir ! J'ai sans cesse l'impression de me cogner contre des murs... Il y a des mois que cela dure. Je n'en peux plus !
Anita se décida brusquement. Après tout, chacun doit être maître de sa vie et posséder l'intégralité de ses facultés pour la mener à sa guise. Elle ne voulait pas être complice d'une histoire truquée. Lorsque Lydia connaîtrait l'entière vérité, elle prendrait sa décision en toute connaissance de cause.
- Eh bien, je suis arrivée à peu près à la même heure qu'aujourd'hui. La maison était sens dessus dessous ; on aurait dit qu'un ouragan venait de la traverser. Votre mari était parti travailler, et vous étiez assise sur ce canapé, en larmes. J'étais un peu gênée et j'ai voulu repartir, mais vous avez insisté pour que je reste. Vous aviez besoin de parler...
Ainsi, Lydia ne se trompait pas ! Il y avait bien des différends importants entre Pascal et elle... assez importants pour éteindre tout sentiment de tendresse à son égard. Si sa tête l'avait oublié, son cœur, lui, ne s'était pas laissé duper par les multiples prévenances de son mari.
Encouragée par le silence attentif de sa compagne, Anita poursuivit :
- Une scène terrible avait eu lieu, qui avait duré plusieurs heures. J'ai cru comprendre que vous vous étiez copieusement insultés... et même davantage.
- Mon Dieu ! Mais pourquoi cela ?
Horrifiée, les yeux écarquillés sur une scène dont elle ne pouvait se souvenir, mais qu'elle imaginait aisément, Lydia tombait de haut. Elle ne s'attendait pas non plus à ce qui allait suivre, et qu'Anita révéla en baissant instinctivement la voix :
- Vous veniez d'annoncer à votre mari que vous alliez le quitter.
- Le quitter ? reprit-elle, effondrée.
- Oui. Et il a très mal pris la chose... Très, très mal. Tellement mal d'ailleurs, que vous m'avez avoué vos craintes. Vous aviez peur de lui, précisa Anita fermement. Vous le disiez capable de tout...
Anita interrompit de nouveau son récit.
- Qu'est-ce que vous voulez insinuer par là ? demanda Lydia, les yeux agrandis par l'épouvantable idée qui la traversait. Vous croyez que...
Anita esquissa un geste qui démentait ses propos :
- Je ne crois rien, madame Calvet, dit-elle gentiment. Mais je vous assure que vous paraissiez presque terrorisée cet après-midi-là !