EXTRAIT DE LA 1ère NOUVELLE du recueil - LE CHOIX D'AUGUSTE :
 
Le camion s'ébranla lentement dans les premières lueurs de l'aube. Malgré l'heure matinale et le froid qui marquait ce jour de novembre, la place de l'église de L'Épine était pleine d'une foule silencieuse aux visages fermés. Les bras croisés sur la poitrine, serrés les uns contre les autres et le regard fixé sur le véhicule bâché qui s'éloignait, les villageois restaient là, impuissants, impassibles mais révoltés, glacés par la haine. Ce matin n'était pas un matin ordinaire. Ce matin, c'était cinq d'entre eux qui s'en allaient.
- Saleté de guerre ! gronda Auguste Durand entre ses dents.
Il avait perdu sa femme, Angèle, à l'arrivée du printemps. Aujourd'hui, il venait de perdre son fils.
Deux dragueurs de mines allemands avaient été coulés au mois d'août dernier près des côtes de l'île et le filet s'était resserré autour du réseau de résistance local. Un travail de sape minutieux et pervers qui avait fini par porter ses fruits. Les représailles ne s'étaient pas fait attendre. Les autorités en place avaient arrêté cinq hommes : ceux-là même qui partaient dans le petit jour vers une destination que l'on préférait dire " inconnue ".
Inconnue, peut-être, mais personne ne se faisait d'illusions sur le sort qui leur était réservé.
Peu à peu, la place se vidait. Aucun des habitants n'avait envie de partager l'accablement qu'il ressentait, et surtout pas sous le regard indifférent de l'occupant qui quadrillait le lieu. L'émotion en aurait été salie. Chacun, ici, avait sa fierté et résistait aussi, à sa manière.
Par paire, en rang parfait, les derniers uniformes qui s'attardaient encore se dirigèrent d'un pas martial vers le presbytère où le Quartier Général avait élu domicile. Rien d'autre que la routine, en ce début d'hiver 1943...