|
EXTRAIT
:
Il avait
réussi à gagner son logement sans rencontrer âme qui vive. À cette heure du
petit matin, la plupart des honnêtes gens dorment d'un sommeil sans rêves.
La femme qui
était dans la chambre, elle, ne dormait pas. Presque chaque nuit, elle
l'attendait ainsi, la peur au ventre. La plupart du temps, elle se figeait dans
une immobilité feinte qui suffisait à lui assurer une certaine tranquillité
jusqu'au lever du jour, mais cette fois, les sens en éveil, elle écoutait les
bruits qui provenaient de la pièce contigüe. Au lieu de s'écrouler sur le lit
comme il en avait l'habitude, son compagnon ouvrait grand le robinet d'eau, qui
coulait abondamment, sollicitant bruyamment les antiques canalisations. Non
seulement il allait réveiller tout l'immeuble, mais il risquait aussi de
troubler le sommeil de l'enfant qui dormait à côté. Elle se leva et traversa la
chambre à pas feutrés. Ce qu'elle surprit alors, il lui serait à jamais
impossible de l'oublier, elle le savait.
L'homme
ramassa ses vêtements, précipitamment jetés sur le sol. Ils portaient de
nombreuses taches de ce rouge profond auquel rien d'autre ne ressemble. Il
plongea les frusques, preuve trop éloquente de son méfait, dans le baquet à
linge. Aussitôt, l'eau se colora d'un rose vif qui suffit à la faire
défaillir. - Mon Dieu ! Mais qu'as-tu fait ? Elle n'avait pu retenir
l'exclamation épouvantée qui lui était venue aux lèvres. Il s'était retourné, le
regard fixe et l'air menaçant, et il avait prononcé cette phrase qui devait la
poursuivre jusqu'à la fin de sa vie : - Si tu parles, je te tue ! Il en
était capable, elle n'en doutait pas.
...
Après son
départ, la femme était restée longtemps prostrée, les yeux fixés sur des visions
horribles qui peuplaient le vide. Elle écoutait la respiration régulière de
l'enfant assoupi à côté d'elle. L'avenir la terrifiait. Partir ! " Il faut
partir ", se répétait-elle sans parvenir à bouger. L'homme ne s'arrêterait plus.
Un jour, peut-être, ce serait son sang à elle qui salirait ses mains. Ou celui
de son enfant…
Cette pensée
lui fit l'effet d'un détonateur. Avait-elle le temps de lui échapper avant qu'il
ne revienne ? Elle n'en savait rien. Cette nuit avait brouillé tous les codes.
Mais si elle attendait encore, elle n'aurait sans doute plus le loisir de se
poser la question.
Soudain, le
calme revint dans ses pensées. Avec méthode et précipitation à la fois, elle
rassembla les quelques bagages indispensables à leur départ, rafla les quelques
sous, maigre reliquat de sa paye de secrétaire, qui traînaient de-ci, de-là, et
réveilla son fils.
Elle ne sut
jamais que l'homme ne rentrerait pas, ni ce matin-là ni jamais. Avant le lever
du jour, elle avait quitté son foyer.
| |